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Justice pour le loup empoisonné à Crupies (Drôme)

Prison avec sursis, 5 ans de retrait de permis et plus de 26 000 euros pour les associations parties civiles : le 24 octobre, le tribunal correctionnel de Valence a livré son verdict dans l’affaire emblématique du loup braconné à Crupies par un jeune chasseur et éleveur drômois, dont le procès avait fait grand bruit, le 10 septembre dernier. 

Il avait tué un loup, en mars 2022, à l’aide d’un gigot empoisonné déposé dans le charnier de l’ACCA de Crupies (Drôme) : jugé le 10 septembre 2024, un jeune éleveur, chasseur et conseiller municipal écope d’un an de prison avec sursis et se voit interdit de permis de chasse et de port d’arme pour une durée de 5 ans.

Ses deux complices, également chasseurs et éleveurs, sont condamnés pour leur part à 4 mois de prison avec sursis pour avoir aidé à transporter et dissimuler le cadavre (dans un congélateur coffre enterré plusieurs mètres sous terre à l’aide d’une pelleteuse).

Un quatrième individu, un agriculteur retraité qui se trouve être lui aussi chasseur, est condamné à 1000 euros d’amende pour avoir fourni la substance ayant servi à empoisonner le loup (des billes bleues de Curater, à base de carburofan, un puissant insecticide interdit à la vente depuis 2008).

Les 4 inculpés sont par ailleurs condamnés à reverser solidairement un total de 26 001 euros aux associations qui se sont portées partie civile (pour l’ASPAS : 1000 euros de préjudice moral, 1000 euros en réparation du préjudice écologique et 1500 euros de frais de procédure judiciaire).

Il est regrettable que le juge n’ait pas suivi les réquisitions de la procureure (8 mois de prison ferme pour le braconnier), néanmoins les peines retenues sont dissuasives et devraient permettre de contribuer à lutter contre le fléau du braconnage de loups qui sévit de plus en plus fortement en France…

Une enquête rondement menée

Le 4 mars 2022, un groupe de randonneurs découvre un cadavre de loup au bord d’un chemin balisé, sur la commune de Crupies, dans la Drôme. Plutôt que d’appeler l’OFB ou la gendarmerie, l’un des randonneurs (par ailleurs chasseur) téléphone à Fabien D., un habitant local, qui n’est autre que le propriétaire du terrain sur lequel a été trouvé l’animal, lui aussi chasseur et membre de l’ACCA locale.

La nouvelle parvient vite aux oreilles de Thomas D., le principal protagoniste dans l’affaire, et neveu du propriétaire. Eleveur de brebis sur la commune, Thomas D. est lui aussi chasseur et conseiller municipal depuis 2020. Avec son cousin Loïc D. (éleveur et chasseur également), ils se retrouvent sur place pour déplacer à trois le cadavre du loup et le mettre dans un congélateur coffre hors-service. L’oncle utilisera ensuite sa tractopelle pour enterrer le tout et faire disparaître toute trace…

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L’OFB ne sera informée de l’existence du loup mort que 6 jours après sa découverte, par l’intermédiaire d’une amie d’une autre randonneuse du groupe. Arrivés sur place, les inspecteurs ne retrouvent pas le loup, mais ils ne sont pas surpris car ils ont déjà flairé l’acte de braconnage : en analysant les photos faites par les randonneurs, ils jugent en effet la mort du jeune loup très suspecte (pas de blessure apparente, du liquide qui sort de l’anus, des indices de balayage du sol au niveau des pattes).

L’enquête les conduira rapidement sur les traces de la famille D. et en particulier Thomas., déjà connu des services de la gendarmerie pour son implication dans une autre affaire pénale. C’est notamment en interceptant ses SMS et appels téléphoniques que les autorités parviennent à remonter tout le fil de l’affaire…

Un puissant poison récupéré chez un agriculteur retraité 

Pour empoisonner le loup, Thomas D. a récupéré auprès d’Albert F. – un agriculteur retraité d’une commune voisine -, des billes bleues de Curater, un dangereux pesticide à base de carbofuran interdit à la vente depuis 2008. Cet agriculteur, qui se trouve être un chasseur lui aussi, ne porte pas particulièrement les loups dans son cœur : ils seraient responsables, selon lui, de la disparition des chevreuils et des sangliers*…

Une fois le poison en poche, Thomas D. suit les recommandations de son père (président de l’ACCA de Crupies) pour le dissimuler dans un gigot d’une de ses brebis. Gigot qui sera judicieusement placé dans le charnier des déchets de chasse de l’ACCA, situé à deux pas de sa bergerie, et sur lequel il a installé une caméra à détection automatique pour tenter de filmer le loup emportant l’appât…

Après plusieurs essais infructueux, Thomas D. réussira finalement son coup, dans la nuit du 3 mars 2022.

Quelles étaient les motivations de Thomas D. ?  

Jeune éleveur installé à Crupies depuis 2020, Thomas D. possède un cheptel d’environ 200 moutons, élevés pour la viande. Il reçoit 40 000 euros de la PAC et semble plutôt bien équipé pour protéger son troupeau : il a des chiens, il utilise des filets électrifiés et surveille régulièrement ses bêtes. Il peut également les rentrer dans sa bergerie, le soir.

Il a malgré tout subi quelques attaques mais ce n’est pas le carnage non plus : en 2022, année où il passe à l’acte, seule une brebis a apparemment été tuée par le loup, pour laquelle il a été indemnisé, ainsi qu’un chien de protection.

Le fait est que Thomas D. semble baigner dans un milieu très hostile aux loups : que ce soit son père (président de l’ACCA de Crupies), son oncle, son cousin, l’agriculteur retraité dont il a repris la ferme, l’autre agriculteur auprès de qui il s’est fourni en poison ainsi que plusieurs amis éleveurs et chasseurs des environs, tous manifestent une aversion non dissimulée envers le grand prédateur. Les écoutes téléphoniques permettent de comprendre que plusieurs pratiqueraient eux aussi l’empoisonnement de loups, ou du moins disent vouloir le faire…

L’enquête de l’OFB révèle que Thomas D. semble particulièrement motivé d’éradiquer un maximum de loups. S’il s’est infiltré dans le réseau loup/lynx de l’OFB, c’est uniquement dans le but d’obtenir toute information utile sur le comportement des loups et leurs zones de présence, pour aller les braconner.

* un discours classique dans le monde de la chasse : qu’on se rappelle la campagne de communication anti-loup de la Fédération de chasse de la Drôme qui, en 2022, a directement accusé le grand prédateur de compromettre leurs plans de chasse de grand gibier…  

Photo d’en-tête © DR